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- Aujourd’hui, « Les incorrigibles » de Patrice Quélard, paru le 3 mars 2022 aux Éditions Plon.
Marceline Bodier, bookstagrameuse et contributrice du groupe de lecture 20 Minutes Livres, vous recommande Les incorrigibles de Patrice Quélard, paru le 3 mars 2022 aux Éditions Plon.
Sa citation préférée :
Là, au milieu des lianes enchevêtrées et des arbres vénérables qui se disputaient sans pitié la suprématie pour parvenir à la lumière, il acquit la certitude que l’homme ne trouvait de réel bonheur que dans l’osmose avec la nature préservée.
Pourquoi ce livre ?
- Parce que quand Patrice Quélard écrit un roman historique, on peut être certain que le cadre est impeccable et aussi fouillé que celui du Pierre Lemaître d’Au revoir là-haut. Il s’est appuyé sur une abondante documentation sur la Guyane et les bagnes, où se déroule l’essentiel de l’intrigue : notamment, Au bagne et L’homme qui s’évada (Adieu Cayenne) d’Albert Londres, qui avait rencontré lui-même plusieurs ex-bagnards dans les années 1920. Grâce à cela, il ressuscite littéralement les « incos », bagnards évadés plusieurs fois et emprisonnés dans le pire camp de Guyane.
- Parce que le sujet a beau être difficile, il est traité avec une très grande humanité. Les conditions de vie dans le bagne sont reproduites avec minutie, pour mieux nous faire comprendre la psychologie de ceux qui y sont emprisonnés. Si vous pensez que ce sont « des durs » qui sont décrits, vous avez raison. Mais qu’est-ce que des durs si ce n’est des hommes qui ne sont « plus maîtres d’eux-mêmes » parce que « constamment sous le regard de leurs pairs » ? Des durs qui pleurent non pas quand ils sont humiliés, mais quand ils sont traités en humains… ce qui n’arrive pas souvent.
- Parce qu’une thématique transversale et forte du roman est celle de la puissance des mots. Au bagne, les évadés sont protégés par les autres s’ils s’acquittent d’un prix : « raconter ». Quand Cognard essaye de sauver un voleur, c’est en se référant à Jean Valjean. Et quand il rencontre une femme, tout se débloque quand elle trouve comment qualifier le silence entre eux : « Rien ne mettait Cognard plus mal à l’aise que les histoires sans paroles. Seul le verbe lui permettait de manœuvrer, de tourner en dérision, de dédramatiser finalement, là où le silence le laissait désarmé. »
- Parce que le roman est allégé par l’humour. Tantôt Cognard flirte avec le super-héros qui comprend tout et sait comment neutraliser les pires adversaires, tantôt il discute… avec son cheval. Et il dévoile son passe-temps favori : la lecture des « réclames » dans L’illustration. Nul doute que les annonces sont d’époque… j’ai ainsi découvert qu’il y a un siècle, il n’y avait pas besoin de réseaux sociaux pour promettre à nos ancêtres des remèdes miracles pour à peu près tout, y compris pour recolorer les cheveux blancs ou « neutraliser au fur et à mesure la néfaste besogne de la nicotine » !
- Parce qu’au début du XXe siècle en Europe, l’industrialisation et son gigantisme étaient grisants, mais ils ont basculé dans « la mort industrielle ». Alors en allant en Guyane, ce n’est pas vers l’inhumanité que Cognard est allé : au contraire, il s’est éloigné du continent qui a « [abandonné] la nature à mesure qu’il embrassait la « civilisation moderne », alors que celle-ci […] n’avait peut-être jamais été aussi barbare. » Ce cadre a peut-être rendu l’horreur du bagne possible, mais aussi, à l’inverse de la suite de l’histoire en Europe, le retour d’un humanisme incarné par Cognard.
L’essentiel en 2 minutes
L’intrigue. Le livre est construit sur l’alternance de deux histoires, jusqu’à ce qu’elles se rejoignent : celle de Cognard, revenu de la Grande Guerre à Saint-Nazaire, et celle de Talhouarn, bagnard plusieurs fois évadé qui connaît le pire camp de Guyane, Charvein, celui des « incorrigibles ».
Les personnages. Cognard, ex-gendarme, et Talhouarn, bagnard, ont l’air d’être dans deux camps antagonistes, mais en fait, tous deux s’opposent aux mêmes adversaires : la hiérarchie des bagnes. Cognard, en tant qu’humaniste, et Talhouarn, en tant que prisonnier, mais avec la même « intelligence sociale ».
Les lieux. Le roman se passe sur trois continents que la décennie 1910 a dévastés : l’Europe avec la Grande Guerre, l’Afrique avec les bagnes de Biribi, l’Amérique du Sud avec ceux de Guyane. Avec un point fixe : la masure de la mère de Talhouarn, ou plutôt, l’empreinte qu’elle a laissée dans son cœur.
L’époque. Les années 1910 n’ont pas été la meilleure décennie, que les hommes aient vécu la Grande Guerre, comme Cognard, ou qu’ils y aient échappé en étant déportés, comme Talhouarn. Voilà un double point de vue qui élargit singulièrement la vision que nous avons du début du XXe siècle !
L’auteur. Patrice Quélard, auteur prolifique de romans souvent historiques, publie la suite des aventures de Léon Cognard, ex-gendarme qui lui avait permis, voici un an, de remporter le prix du roman de la gendarmerie nationale présidé par Maxime Chattam. La Grande Guerre lui réussit !
Ce livre a été lu avec toujours la même admiration pour un auteur dont les romans sont clairement masculins, mais dont la finesse me permet de m’identifier. Moi aussi, je pourrais penser que « La douleur s’amenuisait un peu avec le temps, mais c’était comme s’il éprouvait le besoin de la raviver régulièrement ».
20 Minutes de contexte
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