Du haut de ses 25 ans, Blanche Loiseau, la plus jeune fille de Bernard Loiseau, a hérité de la générosité et de la détermination de son regretté père, qui a mis fin à ses jours en 2003. En juin 2021, la jeune femme a rejoint les cuisines de son paternel, au restaurant La Côte d’Or, à Saulieu, en Bourgogne. Rencontre.

La cuisine en héritage. Dès son plus jeune âge, Blanche Loiseau, la plus jeune des trois enfants de Dominique et Bernard Loiseau, a arpenté les cuisines de son père à Saulieu (Bourgogne). Gourmande et curieuse, elle a très tôt manifesté un intérêt particulier pour le métier de son illustre papa, l’un des cuisiniers français les plus médiatiques des années 1980 et 1990, qui a mis fin à ses jours le 24 février 2003. Après son décès, sa veuve Dominique a tenu bon, pour ses enfants qui étaient encore jeunes, mais aussi pour les employés de son mari. Déterminée à perpétuer l’oeuvre de Bernard Loiseau, cette ancienne professeure s’est investie corps et âme dans l’entreprise. Déjà épaulée par sa fille Bérangère, vice-présidente du groupe, et son fils Bastien, administrateur, elle a plus récemment été rejointe par Blanche, la petite dernière, qui a intégré les cuisines du restaurant doublement étoilé La Côte d’Or en juin 2021.

Diplômée d’un master international en arts culinaires et innovation à l’Institut Paul Bocuse (Écully), elle s’était promis de revenir un jour dans les cuisines où elle a grandi. Riche de ses voyages et de son expérience, Blanche Loiseau a rejoint la brigade de Patrick Bertron, présent dans le restaurant de Saulieu depuis 40 ans, en tant que demi-cheffe de partie. Pour le chef, comme pour la veuve de Bernard Loiseau qui préside aujourd’hui l’entreprise familiale, le retour d’une Loiseau derrière les fourneaux a été un grand moment. Si elle a déjà hérité du sourire – et du caractère – de son père, elle compte désormais sur Patrick Bertron pour lui transmettre son génie culinaire. Confidences.

Gala.fr : À quoi ressemblait votre enfance ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

Blanche Loiseau : Je suis vraiment tombée dans la marmite quand j’étais petite ! J’ai tout de suite été attirée par la cuisine et la pâtisserie. Comme c’était une entreprise familiale, on traînait souvent là-bas le week-end pour voir nos parents. On était dans leurs pattes. On a grandi là-bas, c’est vraiment notre deuxième maison.

Gala.fr : Comme ce fut le cas pour votre frère et votre sœur, vous avez tout de suite été mise dans la lumière. Est-ce que vous vous rendiez compte que vous étiez dans une famille spéciale ?

Blanche Loiseau : J’étais petite et je ne me rendais pas vraiment compte. Après, on a des vidéos où j’ai 4 ans et je suis sur le plateau de Vivement Dimanche. C’est vrai que quand on y pense, c’est assez incroyable. Dans les interviews de mon père, on voit qu’il est très naturel. On a été élevés comme ça. Ce n’était pas du tout une pression de grandir au sein de cette famille, ça faisait partie du jeu. La semaine, j’étais en pension. Le week-end, je rentrais et il fallait parfois faire des shootings photos. Quand vous avez 5-6 ans, qu’on vous met sur un shooting qui ressemble à un pique-nique, il y a pire. D’ailleurs, on a la photo, je n’ai pas pu m’empêcher de grignoter les fraises ! (rires) C’était des moments en famille. Et puis, on vivait beaucoup avec des adultes. Il y a des clients qui viennent depuis des années et qui nous ont vu grandir.

Gala.fr : Il y a eu des clients célèbres qui ont fréquenté le restaurant La Côte d’Or à Saulieu, comme Roger Moore ou Gérard Depardieu plus récemment…

Blanche Loiseau : Moi c’est quelque chose qui m’impressionne toujours autant, parce qu’on est une maison de famille, à la campagne. Après, on essaie de donner le meilleur au client pour qu’il se sente comme chez lui. Mais c’est vrai que c’est toujours très impressionnant d’avoir des personnalités comme ça qui viennent chez nous. C’est une grande reconnaissance. Gérard Depardieu était déjà venu du temps de mon père et il est revenu parce qu’il avait un tournage dans la région. C’était hyper naturel : il papotait, accoudé au balcon. Alors j’ai pris mon courage à deux mains, je suis allée le voir et je lui ai dit : ‘Je suis désolée mais je suis la fille, est-ce que je peux vous prendre en photo pour immortaliser l’instant ?’ J’ai pris la photo avec mon portable et elle est canon !

« Bernard Loiseau était un papa poule »

Gala.fr : Vous aviez donc 6 ans et demi quand votre papa est parti. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?

Blanche Loiseau : C’était quelqu’un de très généreux et jovial. Il était extrêmement expressif. Il n’hésitait pas à dire les choses avec vigueur, à enjoliver, avec lui tout était très positif. Papa était certes Auvergnat, mais c’est devenu un Bourguignon de cœur. Il était très attaché à sa terre, à Saulieu. Je me souviens qu’on allait se promener dans le Morvan, en forêt, pour aller chercher des noisettes. Il était très proche de la nature et c’est ce qu’il l’inspirait dans sa cuisine.

Gala.fr : Était-il autant exigeant avec ses enfants qu’il pouvait l’être avec lui-même ?

Blanche Loiseau : Non, je dirais que c’était plus un papa poule. Maman était une ancienne professeure, donc c’est plus elle qui gérait les devoirs par exemple.

Gala.fr : Votre mère dit que de ses trois enfants, c’est vous qui êtes le plus proche de votre père en terme de caractère…

Blanche Loiseau : C’est vrai que comme lui, je suis assez expressive, je n’ai pas la langue dans ma poche et je dis ce que je pense. Parfois, ma mère me dit : ‘Oh quand même…’ Je n’ai pas peur d’être franche. J’ai toujours le sourire aux lèvres, c’est très rare de ne pas me voir rigoler, je préfère prendre la vie du bon côté et voir le verre à moitié plein. Et puis, je suis aussi très gourmande, je l’avoue !

« La disparition de papa nous a énormément soudés »

Gala.fr : Après la disparition de votre père, c’est votre mère Dominique qui a repris le flambeau. Est-ce que vous avez pris conscience du poids qu’elle portait sur ses épaules à ce moment-là, en décidant de perpétuer l’œuvre de son mari ?

Blanche Loiseau : Avec le recul, je pense que les enfants sont beaucoup plus sensibles à ce qui se passe que l’on peut l’imaginer. En ce qui me concerne, ça ne se passait pas très bien à l’école ou en pension. Et si je ne lui en ai jamais parlé, c’était sans doute pour ne pas lui ajouter un autre problème. Je pense que, de nos yeux d’enfants, on se rendait compte de la situation. De mon côté, j’essayais de ne pas dire tout ce qui n’allait pas, parce qu’elle avait déjà énormément à porter. Quant à ma sœur, qui était l’aînée, a eu aussi beaucoup de responsabilités. Elle s’occupait de mon frère et moi, comme ma mère travaillait sept jours sur sept. On a très vite été autonomes. Du jour au lendemain, tout a été chamboulé et on l’a vécu différemment en raison de notre âge. Mais c’est quelque chose qui nous a énormément soudés.

Gala.fr : Pourquoi avoir choisi la pâtisserie plutôt que la cuisine dans un premier temps ?

Blanche Loiseau : C’est une question pratique. Un enfant en bas âge ne peut pas se balader en cuisine, parce que c’est dangereux, en raison de la chaleur, des couteaux, etc. De plus, la cadence est très intense, à la différence de la pâtisserie où c’est beaucoup plus étalé. Du coup, quand j’étais petite, je traînais plutôt du côté de la pâtisserie. Je me baladais, je m’intéressais, je donnais aussi des petits coups de main. J’ai commencé par la pâtisserie, en sachant que je voulais faire les deux. Et c’est important de connaître les deux, pour comprendre comment on crée un menu et même savoir ce que font les autres qui travaillent avec vous. Et ma mère m’a toujours répétée une phrase depuis que je suis petite : ‘Ça ne sert à rien d’être parfait dans une matière, il faut être bon en tout.’ Du coup, j’ai toujours aimé touché à tout. La pâtisserie a été une belle introduction et après l’école hôtelière, je suis passée en cuisine.

Gala.fr : Vous avez aussi beaucoup voyagé, notamment au Japon. Quelle expérience en tirez-vous ?

Blanche Loiseau : J’ai passé un an au Japon, c’était super. J’ai eu la chance et l’honneur d’être uniquement dans des cuisines kaiseki, la plus haute gastronomie japonaise des restaurants traditionnels. J’avais des cours de cérémonie de thés tous les week-ends, j’étais vraiment imprégnée dans la culture traditionnelle japonaise, ce qui est une grande chance. J’ai passé neuf mois à Tokyo chez M. Koyama dans un restaurant qui s’appelle Aoyagi. Il travaille avec ses trois filles. Quoi de mieux pour découvrir une culture que de s’imprégner dans une entreprise familiale japonaise ? J’ai vécu des choses que peu d’étrangers auront l’occasion de vivre. Ça m’a vraiment marquée, c’était exceptionnel, j’ai hâte d’y retourner !

Gala.fr : En juin 2021, vous avez rejoint les cuisines de votre père, à Saulieu, dans la brigade de Patrick Bertron. Pourquoi avoir fait ce choix à ce moment-là de votre vie ?

Blanche Loiseau : C’est un peu un concours de circonstances. Je suis rentrée du Japon en octobre 2020, on a été reconfinés trois semaines après et on a rouvert le restaurant de Saulieu en juin 2021. Je sais que je voulais y revenir dans les années à venir, sans avoir de date précise. Avant cela, je voulais voyager, mais avec le Covid, ça a été un peu compliqué. Du coup, je me suis retrouvée confinée chez ma mère. On parlait beaucoup avec ma sœur, qui voulait davantage s’impliquer dans l’entreprise et finalement ça s’est fait naturellement. Il y a toujours des choses à apprendre en cuisine ! Je reviens par la petite porte et c’est bien, je reprends ma formation avec le chef et les équipes.

« C’est un vrai retour au nid, dans tous les sens du terme »

Gala.fr : Comment s’est passé votre retour dans les cuisines de cette maison familiale ? Ça a dû être émouvant pour vous, comme pour Patrick Bertron qui a longtemps travaillé avec votre père…

Blanche Loiseau : C’était très émouvant. La brigade en cuisine est extrêmement bienveillante avec moi. Quant à Patrick, je le connais depuis toujours, car ça fait quarante ans qu’il est chez nous, il était même là avant ma naissance ! Qui mieux que lui pour me transmettre son savoir et tout ce qu’il a pu recevoir de papa ? C’est un vrai passage de témoin. La boucle est bouclée.

Gala.fr : Il paraît qu’il y a quelque chose qui vous agace, c’est quand on parle de cuisine « féminine » ?

Blanche Loiseau : C’est drôle parce que dès qu’il y a une fleur sur l’assiette, on dit : ‘oh c’est féminin…’ Sauf que vous allez chez plein de chefs, la nature est beaucoup au centre de l’assiette, surtout en province. Ça n’a rien à voir avec le genre. Si vous allez manger chez une cheffe, ça ne veut pas dire qu’il y aura des petites fleurs roses !

Gala.fr : Quel regard porte votre mère sur ce retour au nid ? Elle qui était déjà entourée de ses deux autres enfants…

Blanche Loiseau : Maman est très contente. Elle savait que j’allais revenir un jour parce que je l’avais toujours exprimé très clairement. Et puis, ça nous permet de nous voir un peu tous les jours au travail. Je me suis aussi installée à côté de Saulieu. Elle a aussi ma sœur et les petits-enfants. C’est un vrai retour au nid, dans tous les sens du terme ! C’est chouette, on s’entend toutes les trois très bien et on est très complémentaires.

Gala.fr : Est-ce que c’est une force de travailler en famille chez les Loiseau ?

Blanche Loiseau : Clairement ! La clé, c’est de communiquer, en se disant ce qui va, ce qui ne va pas, ce qui nous plaît ou pas. Il n’y a pas de non-dit ou d’aigreur. Avec ma sœur, on est en contact tout le temps. Ma mère voit que la jeune génération est présente, qu’elle veut changer des choses, mais elle est aussi pour là pour nous guider dans la bonne direction afin qu’on garde la même âme. Après, nous on n’est pas là pour révolutionner les choses, au contraire, on adore notre maison et les traditions qui vont avec.

Gala.fr : On peut dire que la transmission a été réussie au sein de votre famille. Selon vous, quel regard porterait Bernard Loiseau s’il vous voyait aujourd’hui ?

Blanche Loiseau : Je pense que papa aurait été fier. Ces trois femmes sont au taquet, comme il avait l’habitude de dire… Elles lui rendent hommage tous les jours et c’est finalement le plus important.

Gala.fr : Quelle est la prochaine étape pour le Relais Bernard Loiseau ? Pour rappel, 2023 marquera les 20 ans de la disparition de votre père…

Blanche Loiseau : On a prévu de faire des travaux pour rénover les chambres. On est un hôtel cinq étoiles et le cœur de notre métier, c’est le client. Donc il faut que ça soit le plus confortable pour lui. On va aussi faire des travaux dans la cuisine qui date de 1991, pour la remettre au goût du jour, tout en gardant l’âme de la maison. Ma mère a toujours eu l’intelligence de l’améliorer, en restant fidèle à cet esprit Loiseau.

Crédits photos : @JonathanThévenet

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