Héloïse est enceinte de six mois lorsqu’elle ressent ses premières contractions. En urgence, elle est transportée à l’hôpital et accouche de sa fille, Garance. Dans le livre "Peau à peau", elle raconte sa plongée dans la prématurité en même tant que dans la maternité.
Peau à peau, Héloïse Des Monstiers. Editions Buchet-Chastel
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Des contractions à 6 mois de grossesse, escortée à l'hôpital
Dans la nuit du 27 au 28 décembre, je me lève en pleine nuit car j'ai très mal au ventre. Je suis dans un minuscule studio de montagne, alors pour ne pas réveiller mon mari, je me réfugie dans la salle de bains. J'ai du sang dans ma culotte. Je fais exactement ce qu'il ne faut pas faire : je regarde sur internet. J'ai peur. Je cherche dans Google "hôpital" et je vois qu'il n'y en a pas à moins d'une heure de route. J'appelle, une infirmière me répond et me conseille de prendre une douche chaude pour m'apaiser. Je parviens à retourner me coucher, jusqu'à sentir mon corps tonner de plus en plus fort. Je me lève pour aller voir mes parents dans l'appartement d'à côté, que ma mère me rassure. D'habitude, elle est obsédée par la sécurité et vérifie plusieurs fois que la porte est bien fermée à clef. Cette nuit-là, elle est restée ouverte : je les réveille, je me glisse dans leur lit. En quelques minutes, elle comprend que j'ai des contractions, elle a eu 3 enfants, elle sait ce que c'est. Je ne veux pas la croire, je ne suis qu'à 6 mois de grossesse, je lui dit qu'elle m'angoisse, qu'elle raconte n'importe quoi, je lui en veux. Je ne sais pas ce qu'est la prématurité, ce qu'elle me dit me paraît impossible. Mon père est d'avis d'attendre le lendemain matin pour aller à l'hôpital, mais elle insiste. On appelle un médecin qui envoie une équipe pour m'escorter en dehors de la station, interdite aux voitures. Je suis récupérée par les pompiers.
On m'annonce qu'il va falloir accoucher tout de suite
Commence alors une longue route, depuis les 1800 mètres d'altitude d'Avoriaz, jusqu'à la vallée pour rejoindre l'hôpital de Thonon-les-Bains. On ne peut pas aller vite parce qu'il neige beaucoup, on serpente entre les virages pendant une heure. Dans l'ambulance, il n'y a pas de médecin. Je perds beaucoup de sang et je me dis que j'ai perdu mon bébé, je suis convaincue qu'il est mort. Mon mari, lui, pense qu'il est en train de me perdre. Il entend les ambulanciers dire : "allez très vite, elle est en hémorragie, allez le plus vite possible !" En arrivant à l'hôpital, la première chose que l'on me dit, c'est que mon bébé est vivant. Tous les deux, on redescend de nos scénarios catastrophes : je ne vais pas mourir et notre bébé n'est pas mort. Par contre, on m'annonce qu'il va falloir accoucher tout de suite. Je suis en pyjama, recouverte de sang, je n'ai pas mes papiers, je n'ai fait aucun cours de préparation à l'accouchement. Il n'y a pas d'anesthésiste pour le service gynécologique, je demande une péridurale, mais je ne l'aurai jamais. Je vis à ce moment-là une sensation de violence extrême : je veux me réveiller de ce cauchemar, je ne comprends rien, on ne m'explique pas ce qu'il se passe, je me fais engueuler parce que je n'accouche pas assez vite. En même temps, il y a urgence absolue, je sais qu'ils font ce qu'ils peuvent, nous sommes dans un hôpital de niveau 1, sans l'expertise nécessaire pour les prématurés, ni les machines. Ils appellent un médecin de Chambery, qui arrive et prend mon bébé dans une ambulance. Mon mari n'a pas le droit de les accompagner. Je ne sais même pas si j'ai donné la vie à une fille ou un garçon. Pendant plusieurs heures, je ne saurai même pas si j'ai donné la vie tout court.
Je ne sais pas si mon bébé est mort ou vivant
Il y a trois heures, j'étais enceinte, tout allait bien. Maintenant, je ne sais pas si mon bébé est mort ou vivant. Je me sens extrêmement coupable, sans comprendre pourquoi. La journée du 28 décembre est un marathon, une bataille pour pouvoir sortir de cet hôpital et rejoindre celui de Chambéry où se trouve notre enfant. Les médecins ne sont pas favorables à ma sortie, mais j'obtiens gain de cause en signant une décharge. Une fois dans l'ambulance, tout s'allège. Je sais que mon bébé est en vie, que c'est une fille. Mon mari l'a déclarée à la mairie. Elle s'appelle Garance, le prénom dont je rêve depuis toujours. J'attends maintenant la rencontre amoureuse avec mon bébé, je me dis que tout va s'arranger. Je ne sais toujours rien de ce qu'est un bébé prématuré. Je ne sais pas ce que cela implique.
Les bébés ne fonctionnent que grâce à des machines, en réanimation néonatale
En arrivant à la maternité de Chambéry, sur la porte de ma chambre, il n'y a pas son prénom, il n'y a que le mien. Je me dis qu'elle est morte, je demande aux équipes de me dire la vérité. On me dit qu'elle n'est pas là : elle est en réanimation néonatale. On y descend et la légèreté me quitte soudainement, l'image est violente, les bébés qui sont ici ne fonctionnent que grâce à des machines. On me dit "voilà votre bébé", mais elle ne ressemble pas du tout au bébé dont j'ai rêvé. Je me dis, c'est déjà bien, elle a une tête, deux bras, deux jambes, c'est un vrai bébé. Ce sont mes premiers moments avec mon enfant et je ne peux rien faire, j'ai une puéricultrice qui me sert de chaperon. Ce soir-là, je me dis qu'il va falloir réussir à créer quelque chose avec cet enfant et je suis persuadée de ne jamais y arriver.
Je rêvais de l'aimer, mais la voir dans cet état m'a demandé de me protéger, de me mettre à distance. C'était le seul moyen pour que ça ne me fasse pas trop mal. Je me trouvais face à une réalité que je n'avais pas pu anticiper, alors que j'avais en tête ce qu'on nous apprend, "ce sera ton premier enfant, tu seras une mère aimante, tu l'aimeras tout de suite", on imagine un bébé tout rose, tout potelé, en bonne santé. Tout cela n'existe pas pour nous. Je vis au rythme de l'hôpital et je dois apprendre à devenir mère. Je me raccroche à notre premier peau à peau, que j'attends avec impatience. Mais le jour où il doit arriver, elle fait un arrêt cardiaque. Elle est réanimée. On ne peut pas se projeter, chaque jour est un jour de gagné. Mais j'ai envie de tout casser, tous les jours. Je suis partagée entre la souffrance et l'admiration pour ce petit être. J'essaye de n'inquiéter personne, je joue à la fille parfaite, qui fait ce qu'on attend d'elle. Je fais mine de rester positive.
Je veux qu'elle rentre à la maison avec une machine
Mon mari est retourné travailler à Paris, il nous rejoint les week-ends. Je vis dans une location à Chambéry, je suis seule, je passe ma vie à faire des allers-retours avec l'hôpital, à jongler avec une palette d'émotions intenses. Je lui en veux terriblement de ne pas être avec nous. Mais il y a 10 ans, on parlait peu de congé paternité… On s'éloigne beaucoup, le couple se déséquilibre. Au fur et à mesure, la santé de notre bébé s'améliore, mon espoir grandit, lui y croit de moins en moins. Il a surtout les échos des moments terribles, je l'appelle quand il se passe quelque chose de grave. Moins lorsque les choses s'apaisent. Petit à petit, pourtant, elle gagne en autonomie et peut être transférée à Paris. Jusqu'au jour où on me dit que je peux la récupérer, rentrer chez nous avec elle. J'ai tellement peur ! Je veux qu'elle rentre avec une machine pour la contrôler, je ne me sens pas capable de l'avoir sans médecins pour intervenir, au cas où.
Elle est en bonne santé, mais nous on est encore traumatisés, tout ne s'arrange pas à ce moment-là. On y arrive, on ne la surprotège pas. Mais je vis avec le doute permanent : quelles séquelles gardera-t-elle ? Chaque rendez-vous de contrôle, chaque retard de croissance est une boule d'angoisse terrible. J'ai fait un très gros travail sur moi-même, pour avoir d'autres enfants. J'ai réussi, mais j'ai eu deux autres prématurés, car on s'est aperçus que j'avais une malformation utérine. J'étais en colère mais j'avais mes marques pour ces deux autres fois. J'ai eu beaucoup moins peur. On a joué à la roulette russe trois fois, et j'ai décidé d'arrêter de tenter le diable ! Aujourd'hui, ils vont tous bien.
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