Incontournable pour relever un risotto, une sauce ou une soupe, le petit cube aromatique n’est pas aussi inoffensif qu’on ne le pense. Faut-il pour autant le bannir de nos cuisines ? On fait le point.
Un minimum de préparation pour un maximum de goût. Telle est la promesse du bouillon en cube déshydraté. Popularisé dans les années 1880 par le Suisse Julius Maggi, ce concentré d’aromates et de légumes, avec ou sans protéines animales (volaille ou bœuf), fait figure de référence, voire même de réflexe quand il s’agit de parfumer sans trop d’efforts soupes, plats mijotés ou encore sauces. Seulement la version industrielle est loin d’être aussi vertueuse que la recette maison (carotte, oignon, poireau, céleri branche, bouquet garni et os). En fonction des ingrédients utilisés et du mode de préparation, sa consommation n’est pas sans risque.
Intérêt nutritionnel zéro
Ne cherchez pas un quelconque intérêt santé dans le bouillon déshydraté, «il n’y en a pas», tranche d’emblée le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition et activité physique à l’Institut Pasteur de Lille. «En termes de fibres et de vitamines, on est très loin de ce que peut apporter un bouillon ou une soupe maison, poursuit-il. Il s’agit d’un aliment ultra-transformé dont le seul rôle est d’apporter des arômes à la préparation.»
C’est d’ailleurs pour cette raison que le cube contient en majorité du sel. Cet ingrédient va également «rallonger la durée de conservation et éviter tout développement microbiologique dans l’emballage du produit», complète François Buche, enseignant-chercheur en sciences et technologies des aliments à l’institut LaSalle de Beauvais. Pour le physico-chimiste Raphaël Haumont, le sel fait aussi office d’«agent de charge», autrement dit une substance pour accroître le volume du bouillon en cube, sans pour autant augmenter sa valeur énergétique. Et «augmenter le poids permet aussi d’augmenter le prix au kilo», fait-il remarquer.
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Seulement, le sel, voilà bien tout le problème. Après avoir testé la composition de 34 références de bouillons en cube déshydratés vendus dans le commerce, nos confrères du magazine 60 millions de consommateurs déploraient en octobre 2020 (1) leur teneur élevée en sel. C’est simple, pour la moitié des produits, le bouillon couvrait déjà plus de 25% des apports journaliers en sel recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (5 g par jour).
Autant de raisons de ne pas saler à nouveau son plat après l’ajout d’un cube aromatique, insistent les spécialistes. Pour rappel, «une alimentation trop salée entraîne, entre autres, des risques d’élévation de la pression artérielle, d’accidents vasculaires cérébraux et de cancers de l’estomac», rappelle le Dr Jean-Michel Lecerf.
Des sucres cachés
Dans son enquête, 60 millions de consommateurs soulignait aussi la présence de sucre dans les cubes, mentionnant l’ajout de saccharose et de sirop de glucose. Une matière sèche dite «de support», et dont le rôle est «d’accompagner les arômes et de gommer l’amertume de la préparation», précise François Buche, enseignant-chercheur en sciences et technologies des aliments.
Si cet apport de sucre est faible, le physico-chimiste Raphaël Haumont alerte tout de même : «il fait partie de ceux cachés que l’on ingère de façon inconsciente et qui contribuent à renforcer l’appétence pour le sucre», nuance le spécialiste de cuisine moléculaire. D’où son invitation à la modération.
Une menace pour l’environnement ?
Pour compacter le sel, le sucre et les extraits végétaux ou animaux du bouillon en cube, le secteur agro-alimentaire utilise une huile végétale. Dans ses colonnes, le magazine 60 millions de consommateurs dénonce l’usage de l’huile de palme. Solide à température ambiante, cet acide gras saturé améliore la texture et évite que le produit fonde. Cependant, comparé à ses consœurs de type colza, tournesol ou coco, l’huile de palme est «davantage problématique d’un point de vue environnemental», rappelle le Dr Jean-Michel Lecerf. À cause d’elle et de son exploitation intensive, des forêts et leurs espèces animales sont menacées, comme le déplorent depuis plusieurs années ONG et experts en environnement.
Des additifs sur la sellette
Si les bouillons de légumes ne comportent aucun additif, ce n’est pas le cas de leur déclinaison animale. Ainsi, pour reproduire la coloration obtenue par un jus de cuisson de viande, les industriels ajoutent des colorants dans le petit cube. Certains utilisent les pigments du caramel ordinaire (E150A), obtenus naturellement après une dégradation thermique des sucres. D’autres ont recours à des colorants plus controversés. «L’usage de ceux enrichis en ammoniaque (E150C) ou ammonium (E150D) pose question car leur réaction chimique peut créer une molécule classée « peut-être cancérigène » par le Centre International de Recherche sur le Cancer, souligne François Buche, enseignant-chercheur en sciences et technologies des aliments. Et pour l’heure, ils restent toujours autorisés par les autorités sanitaires européennes.»
Les exhausteurs de goût présents dans la version animale sont aussi pointés du doigt. C’est le cas du glutamate de sodium (E621), un produit issu de la fermentation et plébiscité pour sa saveur umami (la cinquième saveur primaire, charnue et persistante en bouche). En novembre 2021 et après analyse, l’association de consommateurs belge Test Achats, soulignait que cet additif était «associé au « syndrome du restaurant chinois » qui se manifeste sous forme de maux de tête, de nausées, de sensation d’oppression au niveau thoracique et de rougissements du visage.»
«Aucune suspicion d’impact sur la santé n’a été confirmé, commente François Ruche l’enseignant-chercheur en sciences et technologies des aliments. Mais par mesure de précaution, les autorités sanitaires préconisent une dose journalière admissible de 30 mg de glutamate par kg de poids corporel.» En cas de sensibilité détectée à l’additif, le médecin nutritionniste Jean-Michel Lecerf conseille de s’écouter et si besoin, d’en restreindre sa consommation.
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Version gastronomique, les bouillons paradent cet hiver. On les verse souvent dans l’assiette devant le client. Au Ginger à Paris, par exemple, c’est un bouillon citronnelle, badiane, cannelle qui vient arroser un bar vapeur. Au SaQuaNa à Honfleur (photo), c’est la lotte qui est recouverte d’un bouillon…
… coco, coriandre, livèche, citron vert. Résultat : un parfum exaltant qui réveille les papilles des convives pour débuter le menu dégustation de ce restaurant étoilé de la côte normande. www.alexandre-bourdas.com
Dilution et fait-maison
En conclusion, plutôt que de diaboliser le bouillon de cube, le Dr Jean-Michel Lecerf suggère de revoir son utilisation. «Pour ne pas tomber dans la consommation excessive, on limite la fréquence et la quantité utilisée, assure-t-il. Selon les invités et le goût, on pourra diluer davantage un cube de bouillon dans deux litres plutôt qu’un, quatre litres plutôt que deux…»
Si on dispose de peu de temps devant soi pour cuisiner, il existe également d’autres alternatives pour approcher facilement les notes gustatives d’un bouillon en cube. «On peut réaliser notre propre bouquet garni à base de thym, laurier, oignon, clou de girofle et sel, propose le physico-chimiste Raphaël Haumont. Et le must reste l’ajout d’une branche de céleri pour sa saveur salée et végétale.»
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