- La 37e cérémonie des Victoires de la musique se tiendra le vendredi 11 février sur France 2 et France Inter, en direct de la Seine musicale.
- Avant cette grande soirée, « 20 Minutes » vous propose de (re) découvrir chaque jour l’une des cinq « chansons originales » nommées.
- Après les titres d’Orelsan, Clara Luciani et Juliette Armanet, place à « Monde Nouveau », une chanson qui a failli ne pas figurer sur l’album du groupe Feu ! Chatterton.
« Le monde, le monde de demain, on le bégayait tous, sans n’y comprendre rien à la loi nouvelle des éléments qui nous foutait la frousse et les poils en même temps… » En cette fin janvier 2021, la France est en plein couvre-feu quand Monde nouveau de Feu ! Chatterton arrive à ses oreilles.
Alors que la crise sanitaire ne laisse que peu d’espoirs d’accalmie à court terme, le texte de cette chanson – choisie pour annoncer la sortie prochaine du nouvel album du groupe, Palais d’argile – trouve un écho auprès d’un auditoire attendant « le monde d’après » sans réellement savoir en quoi il pourrait consister. Un malentendu : les paroles n’ont en rien été inspirées par le
Covid. Un comble : si elle est nommée en catégorie « chanson de l’année » aux
Victoires de la musique 2022, Monde nouveau a failli ne même pas figurer sur le disque. Retour sur son étrange destin.
Les premiers mots ont été couchés sur le papier en 2019, au cœur des Cévennes. Deux des membres du groupe, le chanteur Arthur Teboul et le guitariste Sébastien Wolf, se sont accordés quelques jours au vert au milieu de la tournée. « On était dans une maison mangée par la nature, un endroit silencieux, l’un des rares où l’on peut encore voir les étoiles. Il faisait très chaud, c’était la canicule, se remémore Arthur Teboul pour 20 Minutes. En discutant entre copains, on a évoqué des enjeux comme le réchauffement climatique, l’exploitation des ressources à outrance, l’idée de toujours optimiser et rendre utile notre temps et notre énergie, la tendance à oublier le jeu… On parlait pour nous-mêmes, on n’est pas des sages ou des donneurs de leçons. On sentait bien que le système était à bout de souffle, l’arrivée du Covid presque un an plus tard n’a fait qu’exacerber cela. »
« Je me disais que j’étais trop dans le lyrisme »
Le chanteur a écrit, dans son premier jet – ce qui a été conservé dans la version finale : « Se prendre dans les bras, ça, on le pouvait ». C’est la preuve que ce titre n’avait pas anticipé l’irruption des gestes barrières et des distanciations physiques dans notre quotidien. « Je me disais que j’y allais peut-être un peu fort, que j’étais trop dans le lyrisme », confie-t-il, maintenant que l’on sait que la suite des événements lui a donné tort.
Feu ! Chatterton, habitué aux textes pleins de symboles et de jeux de mots s’est donc retrouvé avec un morceau qui n’a pas vraiment d’équivalent dans son répertoire. Arthur Teboul le dit : « Cette chanson a été faite de manière très spontanée, je pense que cela se ressent, elle a une douceur très naturelle, une joie simple. »
Clément Doumic, qui officie à la guitare et aux claviers, reprend : « On la trouvait un peu trop naïve, si bien qu’elle a failli ne pas être sur le disque. Et puis, quand le réel nous a rattrapés [avec l’arrivée de la pandémie], on s’est dit que c’était un signe, qu’elle trouvait un tel écho qu’il fallait qu’elle existe. L’enjeu était de rendre intéressante une chanson aussi simple. »
« En studio, il faut être ouvert à l’accident »
Le défi n’était pas gagné d’avance. « Au tout début, quand on jouait le morceau, on avait l’impression d’être des adolescents en répète. On n’avait pas trouvé les bons arrangements, les bonnes rythmiques, il manquait une patte, qu’on n’arrivait pas à imprimer, raconte le batteur Raphaël de Pressigny. Plus c’est pop, plus la texture et les sons peuvent rendre les choses un peu ringardes ou renvoyer à un style trop particulier qui va faire pastiche. Ce genre de morceau demande de l’attention pour lui donner du style, du caractère. »
Tout s’est joué dans l’ambiance feutrée du studio, propice à la création. Monde nouveau était alors un matériau brut, sans subtilité, qu’il fallait polir. « On ne va jamais en studio pour enregistrer une chanson achevée, sinon, tu transportes quelque chose de mort, avance le chanteur. Avec les chansons, il faut être ouvert d’esprit jusqu’à la fin pour que cela reste vivant. Bien sûr, il faut que cela soit préparé, mais laisser des espaces de liberté, être ouvert à l’accident. »
Epaulé par le producteur et mixeur NK. f – qui a notamment travaillé avec PNL, Damso et Angèle – et le compositeur électro Arnaud Rebotini, producteur de Palais d’argile, le groupe parvient à trouver les bons ingrédients. « Il peut y avoir une étincelle sur un arrangement. Là, on a eu l’idée de mettre toutes ces croches avec des sons très synthétiques, d’utiliser une lap steel, une guitare particulière, pour lancer le refrain », résume Feu ! Chatterton. Le miracle se produit. « Le soir où on a enregistré, je me suis dit que le single qui devait lancer l’album n’était pas Ecran total mais Monde nouveau ! », relate Raphaël de Pressigny.
Un choix de dernière minute
« Tous les cinq, nous sommes nos premiers juges, souligne Arthur Teboul. Quand un morceau ne nous satisfait pas unanimement, c’est qu’il y a un objectif qui n’est pas atteint. Même si, à ce moment-là, on avait identifié que Monde nouveau pouvait être un single, une heure avant la dernière réunion avec le label, on était encore en train de penser qu’on sortirait Ecran total en premier [ce titre a fini par être exploité en septembre]. »
C’est donc in extremis que cette chanson a été choisie comme carte de visite du nouveau disque. Grand bien leur en a pris : de leur aveu, sur l’ensemble de l’opus, c’est ce titre « qui touche le plus facilement les gens ». Au plébiscite du public s’ajoute la reconnaissance des leurs pairs via cette nomination aux Victoires de la musique en catégorie meilleure chanson. Le trophée pourrait ainsi couronner le destin d’un morceau pour lequel rien n’était gagné d’avance. Et cela compléterait sa belle histoire.
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